Le Musée Picasso n’aime pas l’Hôtel Salé

Nous publions ci-dessous un article rédigé par Jean-François Leguil-Bayard (*) paru dans Mediapart le 03 février dont le préambule est ainsi rédigé « le saccage patrimonial n’est pas le monopole du Musée Picasso. La Mairie d’arrondissement du IIIe donne le ton. » Nous partageons cette analyse.

« Il est étrange de voir un Musée national – en l’occurrence le Musée Picasso – s’ingénier à dégrader un Monument Historique, en l’occurrence l’Hôtel Salé. C’est néanmoins ce qu’observent ses riverains consternés, depuis les travaux pharaoniques de rénovation et d’agrandissement du musée, en 2014, destinés à doubler le nombre de visiteurs, voire à atteindre le chiffre magique d’un million de ceux-ci, au risque de la marchandisation de l’institution et de sa transformation en machine à générer du cash-flow pour équilibrer son budget.

C’est ainsi qu’une hideuse aile technique fut construite le long du square Leonor-Fini ; qu’un bâtiment supplémentaire, pas plus gracieux, fut édifié sans permis de construire sur le jardin même du musée, au prix de l’abattage du plus bel arbre du quartier, opportunément déclaré malade, et d’un contentieux juridique avec le voisinage qui ne s’est pas satisfait du permis accordé ex post au mépris de la loi ; qu’une grotesque canopée fut montée à grands frais dans le jardin avant d’être déplacée en banlieue sous la bronca généralisée ; que la superbe façade mazarine a été défigurée par la pose de caméras de surveillance dignes d’un supermarché dont la direction explique sentencieusement qu’on ne peut les déplacer sécurité oblige ! (le nouvel argument passe-partout censé clouer le bec à tout un chacun, mais qui a peine à convaincre en cette époque de haute technologie) ; que le monument n’est plus éclairé le soir, plaisir jadis accordé au promeneur nocturne jusqu’à minuit, mais qui lui fut supprimé dès lors qu’on ne pouvait lui facturer ; que le musée multiplia réceptions et concerts sans rapport aucun avec sa vocation culturelle, au détriment de la tranquillité du quartier mais aussi de la beauté du lieu ; qu’il a renoncé à entretenir la porte d’accès de son personnel, maculée de tags.

Aujourd’hui, M. Laurent Le Bon, directeur, persiste et signe. Il transforme le jardin de l’Hôtel Salé en parking ! Depuis Noël, on y voit stationner des voitures. Il ne s’agit pas de véhicules techniques, qui le lundi, jour de fermeture, s’y garent pour les besoins de l’entretien du musée, ce qui peut se comprendre. Mais bel et bien de voitures privées, ou de fonction, qui, tous les jours, ornent désormais la façade de l’Hôtel Salé. La limitation de l’emprise de l’automobile sur Paris, à laquelle M. Le Bon a contribué en faisant pression sur la Préfecture pour que soient piétonnisées les rues adjacentes en dépit de l’opposition de la plupart des riverains, et notamment des galeristes, ne vaut pas pour le jardin du musée que ces mêmes rues ouvrent à la circulation et au stationnement de ses véhicules. Le nouveau suzerain du quartier continue de faire valoir ses privilèges.

Il est vrai que ce saccage patrimonial n’est pas le monopole du Musée Picasso. La Mairie d’arrondissement du IIIe donne le la. Sous couvert de budget participatif, elle a transformé le square Léonor-Fini en Disneyland : disposition dans la perspective de jeux d’enfants hideux – il eût été loisible d’en commander la réalisation à un artiste, pour faire honneur au musée, et il suffit d’aller en Suisse, au Luxembourg ou dans les pays nordiques pour constater que l’on peut fabriquer industriellement des jeux esthétiquement plaisants –, dissémination de poubelles dans tout l’espace, aménagement d’un improbable terrain de basket ni fait ni à faire avec son grillage en filet, et, comme il ne faut jamais s’arrêter en si mauvais chemin, badigeonnage par des adultes, à Noël, de cinq fresques supposées enfantines qui sont autant d’injures à Pablo.

Dans le même temps, la municipalité est incapable de maintenir la propreté du quartier dans lequel elle concourt à déverser des centaines de milliers de visiteurs à grands coups de Fashion Weeks et de piétonnisation dominicale du Marais. Il n’est plus une seule plaque de rue, un seul équipement, un seul trottoir, une seule façade qui ne soit souillé par des tags, des flyers, de la publicité illicite, éventuellement sous prétexte de création artistique comme au coin de la rue Vieille-du-Temple et de la rue des Quatre-Fils, où la plupart des « œuvres » exposées par le patron de La Perle susurrent un message commercial subliminal et parfois explicite. Tout cela dans l’impuissance ou l’indifférence des pouvoirs publics qui par ailleurs ont œuvré à l’enlaidissement de ce quartier historique en recouvrant sa chaussée d’une signalétique illisible dans son excès même, et aussi faute d’être entretenue. Les assassins du Marais règnent en maîtres, et l’ont transformé en gigantesque shopping mall à ciel ouvert dont le mauvais anglais est la lingua franca et s’affiche sur un nombre croissant de devantures. Malraux, réveille-toi, ils sont devenus fous ! »

 

(*)  Professeur au Graduate Institute (Genève), titulaire de la chaire Yves Oltramare «Religion et politique dans le monde contemporain» et habitant du Marais.

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