Comme l’indique le Monde, « dans un rapport sur la gestion des terrasses des bars et restaurants par la Ville de Paris, publié mardi 28 janvier, la Chambre Régionale des Comptes d’Ile-de-France vient objectiver le sentiment ressenti par nombre de Parisiens depuis l’accroissement massif des terrasses dans l’espace public. »

Le Réseau Vivre Paris et le Collectif Droit au Sommeil ont été auditionnés lors de la préparation de ce rapport. Nous remercions les magistrats pour la pertinence de leurs questions et la qualité de leur écoute.

Le Cour Régionale des Comptes (CRC) a eu accès à des documents qui mettent en lumière l’évolution débridée de l’occupation de l’espace public au cours des dernières années.

Les terrasses à Paris en quelques chiffres :
La surface occupée par les terrasses a progressé de 60 % entre 2020 et 2023.
En 2022, la surface des nouvelles terrasses estivales autorisées atteignait près de 45 000 m2 soit 4,5ha ou 10 terrains de football (!).
Les bars et restaurants représentent donc un commerce sur quatre à Paris. Ces chiffres nous donnent raison lorsque nous parlons de mono-activité bistrotière. Paris-Centre, les 9ème et 18ème arrondissements, la Butte aux Cailles en sont des exemples parmi d’autres.
En 2024, une nouvelle évolution a vu la transformation de 2000 places des stationnement en terrasses pérennes, sans compter sur les places de livraison (qui posent des problèmes aux livreurs et aux artisans notamment) et les contre-terrasses de l’autre côté de la rue (dont certaines sont dangereuses pour le personnel et les clients).

Notre recours devant le Tribunal Administratif contre le Règlement des Terrasses et Étalages (RET) conforté par le rapport de la CRC.
Dans son recours devant le Tribunal Administratif contre le Règlement des Terrasses et Étalages (RET), le Réseau Vivre Paris attaquait le RET car il méconnaît le principe d’intelligibilité et d’accessibilité de la norme. La CRC mentionne « une trop grande complexité qui nuit à son efficacité« . Le rapport de l’inspection générale de la Ville de Paris (IGVP) de 2016avait pourtant déjà pointé « l’inflation normative » du règlement de 2011 par rapport au règlement de 1990. Celui de 2021 atteint des sommets en matière d’inflation avec ses 67 pages et 108 articles, sans compter le « cahier de recommandations » ! A titre de comparaison celui de la ville de Lyon comprend 27 pages.

Notre recours devant le Tribunal Administratif pour carences fautives de la Ville de Paris conforté par le rapport de la CRC.
Dans notre recours devant le Tribunal Administratif pour carences fautives de la Ville de Paris, nous attaquions l’incapacité de la Ville a appliquer son propre règlement des terrasses. La CRC remarque que « la Ville ne respecte pas les règles qu’elle a elle-même édictées, ce que relevait déjà le rapport d’audit de l’IGVP sur l’instruction des demandes de terrasses de 2016« .
Autre carence : « la reconduction automatique des titres incite les professionnels à croire qu’ils détiennent un droit acquis sur le domaine public, ce qui est contraire au principe de précarité des autorisations d’occupation temporaire« (AOT). En effet les AOT sont renouvelables chaque année au 31 décembre. Le Réseau Vivre Paris demande depuis des années que les autorisations ne soient pas renouvelées pour les établissements ayant commis un certain nombre d’infractions au RET ou ayant causé des troubles à la tranquillité public. Il est à noter que « les taux de recouvrement des droits de voirie et des amendes dressées par la police municipale ne sont pas, ou mal, connus de la Ville« . (!) Non seulement les amendes sont faibles mais elles ne sont pas toujours payées…

255 tarifs différents de droits de terrasses 
Autre complexité qui rend la situation particulièrement opaque : les 255 tarifs différents qui entrent dans le système de calcul des droits de terrasses. Les droits de voirie sont fonction du type de rues. Le barème date de 2005 et a été retouché en 2011. Certains droits de terrasses sont particulièrement faibles ce qui, selon la CRC,  » pourrait constituer une aide illégale à l’immobilier d’entreprise ou une subvention déguisée« .
Il est à noter qu’une « part non négligeable de ces redevances est perçue au titre des emprises irrégulières constatées sur le domaine public, soit que l’occupation n’ait pas été autorisée, soit parce qu’elles dépassent l’emprise accordée ou encore que des suppléments installés n’ont pas été déclarés« . Cela signifie que la Ville perçoit des droits sur des terrasses illégales, lui donnant ainsi une légitimité.
Au passage nous découvrons une nouvelle carence de la part de la Ville : le Service du Permis de Construire et du Paysage de la Rue (Direction de l’Urbanisme, Mairie de Paris) (SPCPR) n’a « aucune certitude sur le niveau réel des encaissements en cours d’exercice et, de facto, sur le taux de recouvrement effectif et la situation individuelle des redevables« . Utilisant une litote, la  CRC appelle cela « un angle mort en matière de suivi et de gestion« .

Des amendes ridiculement faibles
Depuis des années le Réseau demande que les amendes infligées aux établissements contrevenants soient revues à la hausse afin d’être dissuasive. Selon le rapport, « elles n’incitent pas les bénéficiaires des autorisations au respect des règles« . Selon les services en charge du contrôle cités par la CRC, « les exploitants se targuent de combler le montant de la ou des contraventions reçues en quelques couverts« . C’est « la preuve des avantages pécuniaires importants générés par une terrasse« . Il est à noter que la Ville a refusé de fournir toutes les pièces concernant la gestion des amendes dressées sur le domaine public au titre des terrasses. Ce qui en dit long sur l’opacité du système. La CRC note d’ailleurs que, tout comme pour les droits de voirie, les taux de recouvrement des amendes dressées par la police municipale ne sont pas, ou mal, connus de la Ville.

Des contrôles insuffisants
24 inspecteurs du SPCPR instruisent les demandes d’autorisations. Selon eux, ils estiment consacrer la moitié de leur temps à des visites de terrain. Vu qu’il y a plus de 28 000 terrasses taxées selon l’Open Data de la Mairie et vu le nombre de terrasses en infraction ou tout bonnement illégales nous pouvons douter de cette affirmation, tout comme la CRC qui précise que « les effectifs de ce service apparaissent insuffisants pour pouvoir procéder à un réexamen régulier des autorisations de terrasses. »

Le rôle du Conseil de la Nuit
Le CRC épingle le Conseil de la Nuit dont l’objectif est la promotion de la vie nocturne et dont « l’efficacité en termes de régulation des nuisances liées aux terrasses pour les riverains apparaît limitée« . C’est d’ailleurs une des raisons pour laquelle les assciations et collectifs de riverains ont claqué la porte en avril 2024.

Mesurer les nuisances sonores
Les riverains demandent depuis des années que les nuisances sonores sont mesurées objectivement par BruitParif. 13 « méduses » ont été installées par BruitParif et permettent de mesurer les nuisances sonores générées par les bars. Mais comme le dit le collectif Droit au Sommeil : « La Ville de Paris préfère ne pas savoir« .
Le rapport mentionne l’audit du bruit festif réalisé en novembre 2022 dans le quartier Montorgueil par BruitParif. Or deux ans après rien n’a changé, ce que confirme Fanny Mietlicki, directrice de BruitParif, dans un entretien avec Droit au Sommeil : « Je ne connais pas précisément les intentions de la mairie de Paris Centre ou de la Ville de Paris en lien avec ces résultats.«
La Mairie qui n’est jamais avare de marques d’auto-satisfation estime que « la lutte contre le bruit provenant des terrasses progresse de manière satisfaisante ».  Or le nombre de signalements et les retours qu’on les associations de riverains montrent exactement le contraire.

45 000 plaintes de riverains mais très peu suivies de sanctions
Entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2023 plus 45 000 plaintes ont été déposés par les riverains. Le rapport rappelle que ces plaintes ne sont suivies d’aucun retour.
Ces plaintes ne débouchent que trop rarement, voire exceptionnellement, sur des sanctions dont certaines sont symboliques (65€). Comme l’indique le rapport « seules 192 procédures ont été mises en œuvre depuis 2021. Elles ont conduit à 83 lettres de mise en demeure suivies de 51 cas d’amendes administratives de 500 €, et, dans 8 cas seulement, à une mesure de retrait d’office du matériel de terrasse« .

La Mairie sourdes aux demandes des riverains
Le rapport rappelle la manière dont la Ville a organisé la « concertation » sur le RET :
– limitée à deux semaines en pratique
– demandes d’organisation de réunions supplémentaires : refusées
– bases « biaisées » puisqu’il n’était question que de la pérennisation des terrasses éphémères, ce que les riverains rejetaient
– bilan des terrasses éphémères et les questions liées à leurs nuisances : refusé
– demande de création d’un comité de suivi du nouveau RET : refusé
– sanctuarisation d’un passage de 1,80 mètres de passage pour les piétons sur les trottoirs : refusée
Le rapport mentionne une demande récurrente, non satisfaite, des associations et collectifs de riverains : leur participation aux commissions de régulation des débits de boissons et aux comités locaux bruit.

Le Figaro résume très bien la situation dans son titre : « Sanctions trop légères, tensions avec les riverains… À Paris, les terrasses se multiplient, les problèmes aussi« .

Le Réseau Vivre Paris demande tout simplement que la Mairie de Paris suive les recommandations préconisées par la Cour Régionale des Comptes recommandations que nous pourrions reprendre intégralement à notre compte.