Nous reproduisons ci-dessous un article intitulé « Le préfet Lallemant et le Café Le Saint-Gervais » publié par Médiapart sous la signature de Jean-François Bayart qui assiste impuissant depuis plusieurs semaines, comme d’autres habitants du quartier du square Léonor Fini derrière le musée Picasso, aux pratiques du Bar Saint-Gervais malgré les mesures mises en place pour contrer la propagation du virus de la Covid.
« Chacun sait que la situation sanitaire est devenue gravissime à Paris. Comment expliquer, comment admettre que le préfet Lallement, connu pour sa sévérité et la rigidité, pour ne pas dire la psychorigidité parfois bien peu républicaine, de sa conception de l’ordre public, tolère la violation organisée et lucrative de l’état d’urgence ?
On s’en souvient, les services du préfet Lallement avaient promptement imposé la fermeture administrative de la boulangerie Turquier « coupable » d’avoir accueilli trois clients en même temps, au-delà de sa jauge supposée. Ils furent déjugés par le ministère de l’Economie pour avoir mésestimé cette dernière, mais traînèrent les pieds pour accorder la réouverture de l’établissement.
Comme je l’avais alors signalé, le café Le Saint-Gervais, sis au coin de la rue Vieille-du-Temple et de la rue des Coutures-Saint-Gervais, bénéficie quant à lui d’une mansuétude pour le moins étrange de la part de ces mêmes services, indulgence qui interroge sur les liens unissant la Préfecture de Police à certains débits de boisson, bien connus pour s’affranchir de longue date de tout respect de la législation, et ce en toute impunité.
Mais là n’est même plus le problème.
Chacun sait que la situation sanitaire est devenue gravissime à Paris. Comment expliquer, comment admettre que le préfet Lallement, connu pour sa sévérité et la rigidité, pour ne pas dire la psychorigidité parfois bien peu républicaine, de sa conception de l’ordre public, tolère la violation organisée et lucrative de l’état d’urgence ?
Le Saint-Gervais pratique la vente à l’emporter. Soit. Il a apposé une affiche demandant aux consommateurs de ne pas stationner sur sa terrasse. Soit. Le résultat est que ces derniers squattent la totalité du trottoir longeant le square Leonor-Fini et ont désormais investi ce dernier, le transformant en superbe terrasse. Aucune distanciation physique, port du masque pour ainsi dire abandonné puisqu’il s’agit de boire de la bière ou divers apéritifs. Tels sont en effet les principaux produits « essentiels » que vend à l’emporter le Saint-Gervais, sous couvert de quelques plats du jour : hamburger et frites. Irresponsabilité absolue de l’établissement et des consommateurs qui ont renoncé à toute forme de prudence prophylactique en prenant au pied de la lettre l’oxymore gouvernemental délirant du confinement à l’extérieur. Comportement scandaleux car, faut-il le préciser, ce square est fréquenté par les enfants dont certains des jeux sont transformés en comptoirs par les buveurs et dont le fond du terrain de basket-ball a désormais été reconverti en urinoir. Pour servir de la bière, le Saint-Gervais n’ouvre pas pour autant ses toilettes.
Depuis plusieurs semaines ces faits ont été dûment signalés à la Préfecture, au Commissariat de la rue aux Ours et à la municipalité. Ils se reproduisent semaine après semaine, dans l’indifférence absolue des pouvoirs publics. A 18h28, en ce dimanche 28 mars, une voiture de police est ainsi passée à la hauteur du square et de son trottoir, en faisant mine de ne pas voir ce qu’il s’y produisait. Un ami qui habite le Xe arrondissement me rapportait que les patrouilles demandent par haut parleur aux attroupements de se disperser.
Rien de tel dans le Marais. On ne peut se comporter avec les bourgeois et les bobos comme avec les classes populaires. Et décidément tous les commerces ne sont pas égaux devant la loi.
En bref, aucune leçon n’a été tirée du ratage complet du premier déconfinement, où déjà des établissements comme le Cox, rue des Archives, ou ceux de la place Sainte-Catherine avaient immédiatement bafoué les dispositions sanitaires, et récidivé tout l’été jusqu’à ce que se produise l’inévitable : la reprise de l’épidémie.
On voit aussi la conséquence de la libéralité accordée par Anne Hidalgo aux établissements de boisson.
Dans le cas du Saint-Gervais ce ne sont pas seulement les espaces de stationnement résidentiel qui lui ont été concédés pour qu’il s’enrichisse sur le dos de la santé des habitants du quartier, mais un square public ! Le risque étant naturellement que ce spot, comme doit sans doute le dire Frédéric Hocquard, le représentant du lobby de la limonade et de l’industrie de la nuit à l’Hôtel de Ville, ne devienne irréversible et que le scandale ne se perpétue après que le Saint-Gervais aura rouvert et reconstitué sa terrasse illégale de la rue des Coutures Saint-Gervais – aucun droit de terrasse ne lui a été accordé, ce qui ne l’a jamais empêché d’y installer des tables ni incité la police à le verbaliser.
Devant cette carence fautive et cette complicité objective dans la violation systémique de l’état d’urgence sanitaire de la part de la Préfecture de Police et de la Mairie de Paris, on ne voit guère qu’une issue judiciaire à l’initiative des riverains pour sortir de cette aberration.
En outre, les habitants du Marais ne peuvent plus se sentir astreints aux obligations réglementaires et législatives relatives à l’état d’urgence sanitaire dès lors que l’Etat se montre incapable ou non désireux de les appliquer à une partie de la population ou des commerces. Il est devenu dangereux de se déplacer en journée, du fait de ces attroupements illégaux de consommateurs ne respectant aucune distanciation physique et souillant la voie publique.
Le plus prudent est de sortir pendant le couvre-feu, quand ces derniers se sont dispersés, et toute verbalisation attenterait au principe sacro-saint de l’égalité devant la loi. A la veille du week-end de Pâques qui s’annonce arrosé square Leonor-Fini le droit de retrait s’imposera également aux résidents du quartier pour préserver leur santé : à savoir le droit de fuir Paris en dépit de l’interdiction des déplacements interrégionaux, puisque l’Etat est incapable ou non désireux d’y faire respecter l’ordre républicain.
Enfin il appartient à la presse d’investigation d’élucider les transactions collusives qui garantissent l’impunité à certains des débits de boisson contrevenants, et d’expliquer pourquoi un boulanger de quartier est frappé d’une fermeture administrative pour trois clients, alors même qu’il s’avérera être dans son droit, quand un patron de bistrot peut sans sanction des mêmes autorités publiques rassembler une centaine de consommateurs dans un square où la consommation d’alcool est interdite, alors que les attroupements de plus de six personnes sont actuellement prohibés.
Le citoyen respectueux des consignes (et de la santé publique) ne peut que s’interroger devant la mansuétude accordée à cet établissement (et tant d’autres à Paris) par les services de police.