Nous publions ci-dessous le courrier que le collectif de résidents de la rue du Trésor, envahie de terrasses (l’espace public a été totalement annexé par les exploitants, il n’y a plus 1cm2 disponible), vient d’adresser au Maire de Paris Centre qui par ailleurs habite dans cette impasse. Une nouvelle illustration de l’anarchie qui règne sur l’espace public suite au développement illimité des terrasses dites désormais « d’été » et qui s’ajoutent à celles déjà préexistantes. Ubuesque!
Monsieur le Maire,
Puisque, aujourd’hui, le problème principal de la rue du Trésor est celui de l’occupation de l’espace public, pour ne pas dire sa privatisation au profit des cafés-restaurants, il est indispensable de lire attentivement la réglementation des terrasses édictée par l’arrêté du 11 juin 2021 dit RET. Mais la lecture du Règlement conduit à se demander si ce texte peut s’appliquer à la rue du Trésor . S’il s’avère que le RET ne s’y applique pas, cela signifie que les exploitants de cafés-restaurants sont en fait libres de faire ce qu’ils veulent . Ce dont, semble-t-il, ils ne se privent pas. Ni au début de l’impasse, ni au milieu, ni au fond.
La rue du Trésor est une impasse. C’est la seule impasse de Paris qui porte le nom de rue. Peut-être porte-t-elle le nom de rue parce qu’elle était prolongée auparavant par un passage aujourd’hui fermé qui reliait la rue du Trésor à la rue des Ecouffes. Mais c’est bien une rue entre deux ensembles d’immeubles résidentiels. La rue du Trésor n’est donc pas une place c’est-à-dire un lieu dont le centre est interdit à la circulation automobile et dont le pourtour constitué par une voie ouverte à la circulation dessert les entrées des immeubles qui bordent la place. Ces précisions sont nécessaires pour apprécier l’applicabilité du RET.
Maintenant, la rue du Trésor est-elle une aire piétonne ? En droit, non. Aucun arrêté de piétonisation n’a été pris. Seulement une limitation de l’accès à la rue (actuellement par des poteaux mobiles) et un stationnement restreint à certaines heures (?). Indiquons au passage qu’à notre connaissance , la rue n’est pas concernée par l’article TE.3 du RET : « des contre-terrasses estivales peuvent être autorisées dans le cadre d’un projet de piétonisation temporaire de voie présenté par un commerçant, un collectif de commerçants ou une association de quartier. La demande de piétonisation est instruite par les services de la Ville de Paris selon les modalités précisées sur le site paris.fr. … »
Mais, de fait, la situation de la rue du Trésor semble assimilable à une aire piétonne que le RET définit comme un lieu fermé à la circulation générale, mais ouvert au stationnement des ayants-droit. « Les voies piétonnes, aires piétonnes (fermées à la circulation générale motorisée en permanence, mais ouvertes sous certaines conditions aux véhicules d’ayants droit) … peuvent comporter des installations sur trottoir ou sur chaussée ».
La situation de la rue découle d’un accord ancien (1994) entre les résidents , les commerçants et la Mairie du IVème Arr, accord qui a d’une part strictement réglementé le stationnement automobile1 et d’autre part pérennisé l’existence sur les trottoirs de terrasses ouvertes pour les cafés-restaurant (Cf. P.3.1 du RET : « Une terrasse ouverte est une occupation délimitée du domaine public de voirie destinée limitativement aux exploitants de débits de boissons, restaurants, glaciers et salons de thé pour disposer des tables et des sièges afin d’y accueillir leur clientèle…. Une terrasse ouverte peut venir en complément d’une terrasse fermée… »). Rue du Trésor, les terrasses ouvertes parallèles au droit des cafés sont limitées dans leur largeur par des plates-bandes entretenues par la Ville de Paris. En clair, cela signifie que 70% des trottoirs du côté droit de la rue et 40% du côté gauche sont occupés par des terrasses ( et par des parkings à vélo); qu’en conséquence, faute de trottoirs sur ces portions, la chaussée en fait fonction. Jusqu’à la décision d’autorisation de contre-terrasses (d’abord temporaires et désormais dites « estivales ») la rue n’en comportait pas.
La chaussée centrale dessert les immeubles et …les commerces. On a vu qu’y avaient droit d’y accéder, par assimilation à une aire piétonne, les véhicules des ayants-droit.
Ici , deux questions se posent: Qui sont les ayants-droits ? L’ouverture des contre-terrasses a –t-elle changé les pratiques de stationnement ?
Une observation rapide montre que les « ayants-droit » sont essentiellement les camionnettes d’artisans ou de livraison qui travaillent pour les commerces de la rue , c’est-à-dire pour les cafés. Pour les ayants –droit que sont les résidents, dès avant l’installation de contre-terrasses, l’accès de la rue du Trésor leur était interdit deux fois sur trois par les voitures de livraison qui bouchent l’entrée de l’impasse. Cette impossibilité pour les résidents de se garer près de leur domicile pour charger ou décharger personnes et objets constituait déjà un problème qui demandait une solution. L’installation de contre –terrasses sur la chaussée depuis le déconfinement change semble a priori la donne pour tout le monde, mais en réalité elle ne la modifie que pour les habitants . Comme l’accès de la rue est géré par les cafés, que les livreurs et les artisans travaillent pour les cafés , ils sont « autorisés » à stationner. Mais pour les résidents qui souhaitent se rapprocher de leur domicile pour charger ou décharger, l’accès à la rue est devenu impossible. Il y a peu de jours, un camion de déménagement arrivé à 8h du matin s’est vu refuser le passage par un café qui refusait de déplacer ses tables au prétexte qu’il payait une taxe. Quant aux piétons, ou bien les camionnettes occupent la rue, et ils doivent se faufiler entre ou le long des véhicules : ou bien les contre-terrasses sont installées, et un petit chemin de un mètre cinquante leur est ménagé sur la chaussée devenue trottoir.
Avant l’ouverture de contre-terrasses estivales, la chaussée étant devenue de facto piétonne, un esprit très libéral pouvait malgré tout considérer , que les alinéas 1 et 2 de l’article DG 11.1 du RET étaient relativement respectés 2. Mais la décision concernant l’ouverture de contre-terrasses estivales modifie profondément l’occupation de l’espace déjà très favorable aux exploitants de café-restaurant.
Aujourd’hui, le Collectif de la rue du Trésor demande, puisque la chaussée sert de trottoir, et que les trottoirs ont été privatisés , quelles sont les dimensions autorisées des contre-terrasses situées sur une « chaussée-trottoir ». Quelle réglementation s’applique ? Est-ce celle de l’article TE2.2 du RET ? Mais les installations de la rue du Trésor ne respectent pas les caractéristiques des terrasses estivales ouvertes3 . Ou bien est-ce celle des contre terrasses estivales sur trottoir , place, ou terre-pleins ? Il ne le semble pas non plus si on lit l’article TE.3 qui stipule que « l’installation d’une contre-terrasse se fait dans la bande dite fonctionnelle », laissant un passage libre d’une largeur minimum de 1 m 80 pour la circulation entre une terrasse ouverte ou fermée ou la façade de l’exploitant et la contre-terrasse ; — des contre-terrasses sur une place ou un terre-plein au-delà d’une chaussée ouverte à la circulation automobile peuvent être autorisées ; — en présence d’un trottoir au droit d’une voie circulée ou comportant un stationnement autorisé, la contre-terrasse doit être en retrait de 0,90 mètre de la bordure du trottoir, laissant ainsi un passage libre de tout obstacle ». Et pas davantage, s’agit-il d’une contre terrasse sur stationnement visé par l’article TE4.
Au vu de cette situation de trottoirs privatisés par les cafés-restaurants et d’une chaussée investie par les contre-terrasses, au vu d’une réglementation qui ne répond pas aux spécificités de la rue, le Collectif demande à la Mairie de Paris- Centre quelle réglementation elle compte appliquer aux contre-terrasses de la rue du Trésor. Il demande quel est l’espace réservé à la circulation des habitants et plus largement des piétons ; quel est l’espace réservé au stationnement des véhicules des ayants droit, et qui sont les « ayants-droit ; il demande quel est l’espace réservé aux véhicules des services d’entretien et de secours ? Il demande enfin puisque le RET ne s’applique pas ou ne peut s’appliquer à la rue quelle réglementation envisage la Mairie.
Le Collectif observe que dans cette situation de « non-droit » les seuls « droits « reconnus sont ceux des exploitants de cafés-restaurants. Il appelle l’autorité municipale à rétablir les droits du public et des résidents.
Pour le Collectif, Dominique Damamme, 10 rue du Trésor
Lettre communiquée aux associations de défense du Marais.
1 Réglementation en fait caduque.
2 A savoir qu’était ménagée « en permanence une zone de circulation des piétons, pouvant servir de zone d’intervention pour les véhicules des ayants droits ou d’intervention pour les services d’entretien et de sécurité, d’une largeur minimale de 4 mètres, située dans l’axe de la chaussée ; » et que d’autre part, était maintenue « une zone de circulation d’une largeur minimale de 1,80 mètre libre de tout obstacle, réservée à la circulation des piétons, et en particulier des personnes à mobilité réduite, entre étalage et contre-étalage, ou terrasse et contre-terrasse . » L’alinéa suivant précise que « ces installations peuvent être refusées, ou n’être autorisées qu’à titre exceptionnel et pour des durées limitées si la configuration des lieux, la sécurité, la bonne circulation des piétons ou l’aspect ne sont pas assurés dans des conditions satisfaisantes. ». L’ancienne « charte » de la rue du Trésor, dont la seule mesure qui reste appliquée est la privatisation des trottoirs au bénéfice des exploitants de café interdit que la règle posée en P.3.2 s’applique : « il ne peut être autorisé de terrasse ouverte d’une largeur inférieure à 0,60 mètre. En conséquence, sur les trottoirs d’une largeur utile inférieure à 2,20 mètres, les terrasses ouvertes sont interdites.
3 « — les dimensions des terrasses ouvertes doivent respecter les règles définies au Titre 1 — dispositions générales ;
— un espace destiné à la circulation des piétons et des personnes à mobilité réduite d’une largeur de 1,60 mètre au minimum doit être laissé libre de tout obstacle ;
— les entrées d’immeubles doivent être libres de toute occupation ; l’accès des riverains et des services secours aux immeubles est garanti en permanence ;…
Par contre les terrasses de la rue du Trésor respectent un autre alinéa du même article : « par dérogation aux dispositions générales du présent règlement, les installations estivales peuvent excéder 50 % de la largeur utile du trottoir ; »
Merci Dominique de parler de notre chère Rue du Tresor.
Depuis l’envoi du courrier la Prefecture a décidé, enfin, de supprimer les terrasses « estivales » qui encombraient la chaussée. On a retrouvé un peu de calme et les secours peuvent passer!
Espérons que la rue sera surveillée…
Bonnes vacances à tous.
F.Radot