Le Marais ou la thrombose imposée sous couvert de « nouvelle circulation »

« Sonnez tous à cette capitale que la guerre épargna et que la paix massacre » (Claude Nougaro)

On aurait pu croire que la décision de la Mairie de Paris, envisagée pour s’appliquer dès l’an prochain, de fermer à la circulation automobile tout le centre de la ville, sauf « desserte locale » et dérogations partielles pour les habitants de ces quartiers, aurait pu suffire à la coalition municipale majoritaire pour réaliser son rêve de faire de Paris Centre une zone de « la fête » et de « la nuit », livrant tous ces quartiers historiques aux seuls touristes et festifs, en interdisant leur accès libre à 95% des Parisiens et à tous les autres franciliens.

Déjà les mesures d’application de cette ségrégation avaient été définies et présentées : barrages de contrôle aux accès et sorties du Centre, avec présentation obligatoire d’une preuve de domicile pour les résidents, ou d’une facture de dépense du jour pour les autres. Ainsi, s’il sera possible de venir dépenser son argent dans le Centre, il sera en revanche interdit par exemple de venir y chercher, ou d’y raccompagner en voiture ses parents ou amis âgés, pour peu que l’on habite un autre arrondissement.

Cette politique d’exclusion, qualifiée par antinomie d’« inclusive et équitable », aurait dû se suffire à elle-même pour mettre en œuvre dans le Centre la stratégie de destruction méticuleuse de ce qui faisait le charme si particulier de Paris, complétant ainsi la fermeture des voies de circulation du Centre (tunnels des Halles à la Seine, voies sur berge), et s’ajoutant aux travaux de démolition à la périphérie de la ville, comme par exemple le remblaiement à grand frais du tunnel routier de la porte Dauphine, afin de s’assurer de l’irréversibilité d’une politique extravagante.

Il faut certes porter au crédit de la municipalité une constance dans l’accroissement de la dépense publique, financée par l’emprunt et l’augmentation considérable des impôts locaux, pour détruire ou condamner des infrastructures, une première en temps de paix.

Mais il s’avère que la fermeture du centre de Paris se voit complétée désormais d’une double peine, par l’imposition dès à présent d’un NPCM (Nouveau Plan de Circulation du Marais) afin, est-il prétendu, de transformer Paris Centre en ZTL (Zone à Trafic Limité). 

Pour  le Maire de l’arrondissement « le centre de Paris ne doit plus être un raccourci pour traverser Paris » reprenant à son compte les propos de David Belliard, l’adjoint EELV de la Maire de Paris chargé de la transformation de l’espace public et des mobilités (appelé aussi par les commentateurs « adjoint antivoitures »)Un esprit chagrin, mais néanmoins logique, aurait pensé que l’interdiction pour tout autre que les riverains et la « desserte locale » aurait déjà eu en soi pour conséquence de limiter le trafic et d’empêcher de transiter par cette zone, par l’utilisation des caméras de vidéoverbalisation qui se multiplient.

Le NPCM, auxquelles s’ajoutent aussi les « rues apaisées » qui elles sont fermées avec des barrières cadenassées, se traduit par des changements de sens de circulation visant à transformer le Marais en  un véritable labyrinthe, pour reprendre le terme utilisé dans le titre de l’article du 24 janvier du Parisien, dans lequel l’adjoint du Maire de Paris Centre en charge de le voierie, des mobilités et de la gestion des chantiers affirme qu’avec cette décision il y aura  «  moins de bruit, d’insécurité routière et de pollution. »

En pratique, les quelques véhicules qui seront malgré tout autorisés dans le centre devront rallonger leur trajet au travers de dédales crânement conçus pour rendre la vie impossible aux rares audacieux qui oseront s’y aventurer. Là encore, il est difficile de comprendre en quoi rajouter des kilomètres aux distances déjà à parcourir va réduire la consommation d’énergie, et donc la pollution.

Adopter aujourd’hui de telles mesures radicales constitue de plus à un combat d’arrière-garde.

Rappelons en effet que l’Union européenne a réduit les limites fixées pour les oxydes d’azote et les particules ont été diminuées de 92 % entre 2001 et 2014. Et la norme Euro VI a imposé en 2015 une réduction supplémentaire des valeurs limites de 80 % pour les oxydes d’azote, de 50 % pour les particules et de plus de 70 % pour les hydrocarbures. Ainsi, en 23 ans (entre Euro 0 et Euro VI), les NOx auront été divisés par 36, les HC par 18 et les particules par 35. Et à partir de 2035 la vente de véhicules sera limitée aux seules voitures électriques. En d’autres termes, la lutte contre la pollution n’a pas attendu les adeptes des « mobilités douces ».

Le maire de Paris centre prétend que 70% de ménages de l’arrondissement n’ont pas de voiture, sans pourtant citer la source de ce pourcentage. Il poursuit qu’ainsi les rues seront « en priorité dédiées aux piétons, bus, vélos, riverains et à la desserte locale », oubliant de mentionner les terrasses de café, priorité de la municipalité, ainsi que les trottinettes, skateboards et autres « mobilités douces ».

Après les contraintes imposées au moment de la pandémie Covid, après les règles drastiques d’isolation des logements, après l’interdiction de  circulation des véhicules Crit’Air 4 et 5 et bientôt 2 et 3,  après  les normes d’isolation thermique et maintenant la quasiinterdiction de circuler en voiture dans les rues du Marais, le ras le bol d’une vie quotidienne particulièrement encadrée restrictive de libertés cause une  véritable indigestion chez les Parisiens qui ne paient pas leurs impôts pour se retrouver face à autant de contraintes conçues et mises en œuvre dans le seul but de compliquer leur vie quotidienne.

Là, nulle « concertation » ou referendum d’initiative locale. Il aurait été pourtant normal de consulter les Parisiens – et pas seulement ceux du centre de la capitale. Mais c’était évidemment impossible pour pouvoir imposer une politique d’exclusion, qui interdit à l’immense majorité des habitants de circuler dans certains quartiers de leur ville.

Soyons lucides, les véhicules qui ne pourront plus emprunter les rues du Marais se reporteront  sur d’autres quartiers sans réelle baisse de pollution, bien au contraire. La mise en place de  sens de circulation inversés dans les rues retenues va immanquablement créer des bouchons. Et puis, remarque de taille la pollution atmosphérique poussée par les vents arrive aussi  de l’extérieur de la capitale.

Il n’y aura pas moins d’insécurité tant le danger pour les piétons est élevé du fait de la présence des trottinettes roulant dans tous les sens et des livreurs et cyclistes grillant les feux et se déplaçant n’importe où, trottoirs y compris. N’oublions pas que les terrasses, saisonnières notamment, se sont multipliées et un moindre nombre de voitures dans les rues est une aubaine pour les cafetiers qui vont  demander à occuper davantage d’espace public…

La France est souvent critiquée pour le zèle de son administration. Le zèle des élus parisiens n’a rien à leur envier.  N’en déplaise, la voiture ne peut pas disparaître. De nombreux corps de métiers en ont besoin, de nombreux riverains contrairement aux affirmations des élus doivent pouvoir accéder facilement à leur domicile. Pourtant le Maire de notre arrondissement a rejeté tout accès aux résidents sur les tronçons d’inversion de sens de circulation…Les touristes et cafetiers ont certes plus d’importance à ses yeux.

Rappelons que la Ville de Paris ne dispose pas de la compétence en matière de transports en commun, qui dépendent de la région Île-de-France. Une politique responsable, donnant la priorité aux transports publics – ce que défend notre association – aurait exigé de la mairie de Paris de travailler intelligemment avec Île de France mobilités et la région.

Au lieu de quoi, sous couvert d’un langage doucereux, les habitants du Marais, piégés dans un labyrinthe, au milieu d’un large périmètre allant de la place de la République au boulevard Saint-Germain, et de la place de la Bastille à la place de la Concorde, seront ainsi doublement coupés du reste de la ville.

Le Marais méritait-il d’être au cœur du cyclone d’une telle incompétence ?

NB : Le plan des nouveaux sens de circulation servant d’illustration à l’article est extrait de l’article publié par la mairie sur Paris.fr  le 24 janvier 2023.  

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