De plus en plus de voix pointent l’endettement de la ville de Paris. Qu’ils s’agissent d’élus de l’opposition, du gouvernement qui a fait un récent rappel à l’ordre ou de la Chambre régionale des comptes (qui assure le contrôle des comptes et de la gestion des collectivités et organismes liés, le contrôle juridictionnel des comptes publics qui lui sont produits et le contrôle des budgets locaux). Le 03 mai 2021, l’agence de notation financière Fitch dégradait le risque de la ville le passant de « stable » à « fort » (AA- contre AA).
Le point de difficulté sur l’endettement de la capitale actuellement de 7,1 milliards d’€ (contre 2,7 milliards en 2011, soit + 73,0 %) repose sur une opération qualifiée en termes techniques de « window dressing » depuis l’autorisation donnée par François Hollande en 2015 sous forme d’un rescrit fiscal. « Il s’agit » indique la Tribune du 1er février 2021, » d’un mode de financement permettant à la Ville de racheter des logements, 20 000 ont été achetés depuis 2016 en utilisant son droit de préemption, de les convertir en logements sociaux et de demander immédiatement au bailleur qui va les exploiter pendant les cinquante prochaines années (NDLR : voire plus) de lui verser l’intégralité des loyers qu’il va percevoir en une seule fois ». Une opération qui n’est pas sans conséquence dans la mesure où cela améliore les comptes de la ville mais hypothèque l’avenir de Paris et des Parisiens. Tels les vases communiquant les Sociétés HLM s’appauvrissent et sont contraintes de réduire leurs investissements dans la rénovation des logements existants par exemple. Ce système qui a permis à Paris d’encaisser sur les 5 dernières années près de 1,2 milliards d’€ n’est toléré pour aucune autre ville. C’est pourquoi cet accord très spécifique est qualifié tantôt de « tour de passe-passe« , tantôt de « bombe à retardement » ou de « présentation artificielle » des comptes. Les spécialistes n’oublient pas de mentionner aussi les engagements hors bilan de la ville (40 milliards d’€ selon l’agence de notation Fitch). Ils correspondent aux dettes garanties par la ville, dettes de ses satellites tels le Crédit municipal, les sociétés d’économie mixte ou autres qu’elle pourrait avoir à rembourser s’ils étaient défaillants.
La mairie a beau jeu de souligner qu’ainsi elle peut davantage investir dans les logements sociaux (*) et les grands travaux. Sans cela elle ne pourrait pas le faire au niveau voulu compte tenu de la baisse de ses recettes (suppression de la taxe d’habitation, de la baisse du tourisme et donc des revenus émanant des commerces et des entreprises, de la perception moindre de certaines taxes en raison de la pandémie), de l’impact du Covid qui a coûté environ 600 millions d’€ à la ville, du RSA et de la contribution toujours plus forte au fonds de solidarité (500 millions d’€) … Le document budgétaire de la ville insiste « … le niveau d’endettement par habitant devrait s’établir, au 1er janvier 2021, à 2 992 €, contre 2 680 € au 1er janvier 2020. Malgré l’impact de la crise, l’endettement des Parisiens, comparé aux autres grandes villes françaises, reste modéré. » Ces chiffres sont toutefois très élevés, 2,5 et 2,8 fois plus que ceux respectivement de Rome ou de Madrid ! Le nombre significatif de départs de Parisiens vers la province ou la banlieue va aggraver ces chiffres.
Dans son édition du 15 juillet 2021 la Revue politique et parlementaire n’écrivait-elle pas que « Par l’ampleur du nombre de ses agents (55.000 fonctionnaires en 2020 contre 49.850 en 2014), par l’amplitude de ses missions de voirie, de vie culturelle, d’action sociale, la Ville de Paris suppose une gestion méthodique et la plus rationnelle possible« . Ce qui signifie qu’en cas de baisse de recettes, pour pouvoir investir, il faut agir pour réduire les dépenses. La masse salariale totalise à elle seule 2,49 milliards d’€ par an auxquels s’ajoutent, le coût des 1680 véhicules dont 500 sont de fonction etc… Le conseil de Paris ne comprend-il pas trop de membres (163, soit 1 pour 13 347 habitants contre 1 député pour 116 228) ? Doit-on encore engager de nouvelles pistes cyclables qui couvrent déjà 1 000 km (coût: 125 000 € du km) ? Le montant des subventions accordées ne devrait-il pas être revu à la baisse ? Reste aussi la possibilité d’augmenter le taux de l’impôt ?
Face à tous ces éléments et le fait que la ville ne pourra plus après 2022 encaisser par avance les loyers des bailleurs sociaux afin d’équilibrer son budget, il n’est pas étonnant d’apprendre que plusieurs associations ont décidé récemment d’engager une procédure visant à mettre la ville sous tutelle. Une telle mesure peu courante consiste à saisir la Chambre régionale des comptes d’Ile de France et le préfet de Paris. Si cette action, qui repose aussi sur le mauvais entretien des chaussées, les choix de mobilier et des aménagements coûteux, devait prospérer, alors toute décision engageant les finances de la ville serait soumise à l’accord du préfet. En cas de réponse défavorable des autorités, une action en justice n’est pas exclue. A suivre…
(*) Les logements sociaux pèsent lourdement dans les comptes de la ville puisque 3 milliards d’€ d’investissements sont prévus sur la mandature afin que Paris passe de 23 à 30 % de logements de ce type.